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Née en France en 1944 à Chambéry, Sylvie Schenk a grandi à Gap dans les Hautes Alpes et fait ses études de lettres classiques à Lyon. Mariée à un Allemand elle vit à Stolberg, près d'Aix-la-Chapelle.
Auteur indépendante depuis 1976, elle a écrit des livres scolaires pour les Editions Cornelsen à Berlin et des poèmes en français. Certains des derniers poèmes ont été publiés dans la revue littéraire belge Krautgarten.
Elle écrit d'autre part des nouvelles et des romans en allemand.
Sylvie Schenk a obtenu plusieurs prix littéraires, dont le "Hasenclever Förder Preis" 1998 de la ville d'Aix-la-Chapelle.

Dernières publications: les romans

  • Maman
  • Roman d'amour
  • Eine gewöhnliche Familie
  • Schnell, dein Leben (L'instant d'une vie)
  • Bodin lacht
  • Der Aufbruch des Erik Jansen
  • Der Gesang der Haut (Le Chant de la peau)
  • Parksünder (Les mal Garés)
  • Die Tochter des Buchhändlers (La Fille du Libraire)
  • Heute ist auch noch ein Tag
  • Hin und Her (L'Aller Retour)

Sylvie Schenk 2013
Sylvie Schenk, April 2013. Foto: © Karl-Heinz Oedekoven

Sylvie Schenk 2013. Photo: © Karl-Heinz Oedekoven

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Vouz pouvez télécharger la biografie et les informations
ici (PDF, 7 pages)

   

Schnell, dein Leben
est sorti en mai 2019 en français: L’instant d’une vie, traduction d'Alexia Rosso, Editions Slatkine & Cie, Paris, broché, 208 pages, ISBN 978-2-88944-104-4.

Le livre a eté présenté le 14 mai 2019 à l'institut français de Dresden et le 3 juin 2019 à l'Institut Goethe de Paris:

"En juin 2019, Sylvie Schenk est venue lire des extraits de son roman L'instant d'une vie au Goethe-Institut de Paris. Elle était accompagnée du musicien Heribert Leuchter. Ce formidable duo propose une vraie performance de lecture musicale bilingue, un format assez éloigné de ce que l’on peut voir en France habituellement quand on se rend à une rencontre littéraire. Un véritable spectacle, construit, professionnel mais sans artifice. Outre le talent de lectrice de Sylvie Schenk et la très belle bande-son composée par Heribert Leuchter, je retiens surtout l'émotion que le duo a su faire passer – mine de rien – au sein de l'auditoire. En témoignent les rires et – pour certain.e.s. – les larmes qui ont fusé dans le public, tout comme les chaleureux échanges qui ont suivi la lecture. Sylvie Schenk est une lectrice généreuse et sincère, l'histoire qu'elle raconte est à la fois personnelle et connue pour beaucoup de gens de sa génération. Je ne peux que recommander à tous ceux qui s'intéressent à la littérature et aux relations entre la France et l'Allemagne d'inviter cet attachant duo."
Aurélie Marquer
Chargée de la programmation littéraire, Goethe-Institut Paris

L'instant d'une vie

   

Der Aufbruch des Erik Jansen
Extrait de chapitre 5 (Hadrian sei mein römischer Lieblingskaiser…)
Traduction: Alfred Prédhumeau

"Hadrien est mon empereur romain préféré avais-je un jour  déclaré et déclenché avec  cette affirmation malheureuse  un conflit conjugal majeur. A cette période Viola et moi nous  nous disputions constamment pour des motifs absolument futiles. Aucun de nous deux ne sachant dire à quoi cela était dû. C’était venu comme une infection rampante, cette aversion contre la façon d’être de l’autre.
Faut-il avoir un empereur romain préféré ? demanda à juste titre Viola, tous des assassins et des dictateurs. Non, il ne faut pas, concédai-je, mais, au moins, Hadrien n’avait mené aucune campagne d'invasion, il n’avait fait que défendre l’empire contre des insurgés. C’était l’un des empereurs les plus éclairés, une tête pensante…Horrifiée Viola s’étrangla : Qu’il ait réprimé un soulèvement juif dans un bain de sang ne te dérange pas. Cinq cent mille juifs assassinés, c’est une bagatelle ! Elle exhibait un rictus triomphant qui m’horripilait et elle secouait la tête comme si elle s’entretenait avec un débile qui aurait perdu le nord. Elle venait de rentrer de chez le coiffeur avec une nouvelle coupe en brosse grisonnante qui me paraissait particulièrement masculine. Les soldats de ton empereur préféré, siffla-t-elle, ont fait bataille si efficacement que la Palestine a été pratiquement vidée de toute vie humaine. Oublie l’empereur préféré, répondis-je. La Palestine est bien repeuplée d’Israéliens et qu’ils aient expulsés les Palestiniens de leur propre pays est la bagatelle d’aujourd’hui. De quel démon étais-je possédé ? Discuter avec Viola en critiquant la politique d’Israël équivalait à une provocation. Ses grands-parents avaient été des nazis convaincus, son père, enfant, membre des jeunesses hitlériennes. Elle trouvait des explications raisonnables  à tout méfait d’Israël, et l’explication servait de disculpation. La plupart du temps je me taisais, soupirais et m’en allais, car mon intelligente épouse savait me mettre dans sa poche à l’aide de raisonnements pharisiens, preuves biaisées à l’appui. Elle prétendait ne me demander qu’une chose : réfléchir de manière plus rigoureuse et agir en conséquence. Ma théorie de prédilection ne l’atteignait pas : énervée elle haussait les épaules et mes paroles restaient en l’air. En fait, ma théorie préférée n’en n’était pas une mais un axiome vérifié empiriquement : à savoir que les gens raisonnables et conséquents comme elle étaient guidés par des sentiments suspects. La soi-disant rationalité étant  le déguisement correct de leurs angoisses et de leurs passions obscures, le camouflage de la mauvaise conscience et de la haine. Son ton professoral, son argumentation impeccablement  développée, tout cela, expliquai-je, ne faisait que dissimuler un niveau complètement irrationnel, non, pas un niveau mais le sépulcre de sinistres sentiments. Tu es un imbécile littéraire, répliqua-t-elle. Tu vis plus par les sentiments que par la réflexion. Bon, d’accord, concédai-je, cette histoire en Palestine a été une faute d’Hadrien. Oui, un crime. Mais on lui doit quand même aujourd’hui de belles ruines, ajoutai-je en souriant et dans l’espoir d’avoir déminé le terrain. Je la renvoyai au mur d’Hadrien que nous avions admiré lors de vacances dans le nord de l’Angleterre. À notre demande un touriste nous avait pris en photo avec les vieilles pierres en arrière-plan. Ma tête inclinée sur l’épaule de Viola, j’avais respiré son parfum au creux de son cou, ses boucles retombant sur mes joues. J’eus le malheur de remettre ca :  Hadrien avait été un protecteur des arts, lui-même poète, on ne peut plus guère aujourd'hui imaginer pareille personnalité. Est-ce que Merkel ou Sarkozy écrivaient des poèmes ou faisaient de la musique entre deux réunions de G20 ? Ah bien, ricana Viola, ton Hadrien pouvait donc tout se permettre, c’était un artiste cultivé, et au fait, Hitler aussi ! Elle ris méchamment et enchaîna : La relation d’Hadrien avec Antinoos était probablement le fait d’un esthète, n’est-ce pas. Aujourd’hui on le mettrait directement en prison pour pédophilie avec, en supplément, une détention de sécurité pour récidivistes putatifs. J’ai été assez stupide pour m’engager dans ce débat : Hadrien, dis-je, avait éduqué Antinoos dans l'amour des arts et de la science, en ces temps, il n'y avait rien de condamnable à entretenir une relation amoureuse avec  un garçon de quinze ans, il régnait une autre morale, une autre conception de l'enfance et de l'adolescence, de toutes manières des critères complètement différents, la pédérastie était une forme institutionnalisée d'amour. Ah, s'écria Viola, si c'est institutionnel, on ne peut qu'approuver ! Non, mais ca va bien la tête, Eric ? Franchement, avec toi, il n'y a plus moyen de discuter sérieusement... Je savais qu'avec cette thématique, j'étais sur la corde raide, mais néanmoins je ne pouvais pas lâcher le morceau. Tempora mutantur, ajoutai-je, et nos mutamur in illis en imitant le collègue Ingo, quelqu'un avec lequel on pouvait discuter sérieusement. L'imitation de la voix d'Ingo attisa le conflit. Je sais, dit Viola moqueuse. Une autre morale, dans ce cas, c'est pas de morale du tout. Une autre, une autre, objectai-je têtu. Tu mets tout dans le même sac de l'absolu. Seuls certains actes d'amour avec les adolescents étaient considérés comme pervers. T'étais là, fit Viola sur un ton hystérique, t'es complètement cinglé. Et au lieu de disparaître dans mon bureau, j'en rajoutais : tu veux dénoncer Hadrien comme un vulgaire pédophile, comme on voit  aujourd'hui les pédophiles faire la une, des pervers criminels, qui abusent d'enfants et les assassinent, ce qui ne fait que prouver que tu es incapable de relativiser, que tu n'arrives pas à intérioriser d'autres époques et d'autres façons de penser, toi qui exige constamment de tes élèves de faire preuve de tolérance. Quel conformisme, ma pauvre Viola ! Arrête, dit-elle, et elle semblait maintenant plus soucieuse qu'en colère, arrête, tu aggraves ton cas. Pourquoi défends-tu cet empereur avec tant de véhémence ? Tu ne fricotes pas avec un élève, non ? Elle rigola de manière forcée, c'est vrai que tu es devenu bizarre ces derniers temps. Ma voix s'emballa : bizarre peut-être, concédai-je, mais pas homosexuel et encore moins pédophile. Je soupirai et fermai les yeux : j'entr’aperçus le beau profil en point d'interrogation de Johanna, ma jeune élève de près de 17 ans."

Der Aufbruch des Erik Jansen

   

Der Gesang der Haut (Le Chant de la Peau)
roman, Vienne, Picus 2011

Moira, une jeune Africaine, vit à Cologne. Etudiante à l'Ecole du cinéma elle prépare un documentaire sur le thème de la peau et se voit assistée dans son projet par le dermatologue à la retraite Docteur Gert Gerlach. Ses visites fréquentes chez le médecin lui font perdre tout recul. Peu à peu elle finit au cours de ses recherches à s'impliquer dans la vie privée du médecin vieillissant et de son épouse à la jalousie maladive. Le jeune médecin Viktor est le successeur du Docteur Gerlach. Il adore son métier, son cabinet démarre bien, il se réjouit de sa nouvelle vie à Cologne où il veut faire venir sa compagne Klara. Mais les Gerlach les attirent tous deux dans leurs filets, le déménagement de la jeune femme est retardé, et Moira qui fait irruption dans la vie de Victor, tombe amoureuse du jeune médecin. L'apprentie-cinéaste change de regard, le documentaire devient un film sur les Gerlach, elle entre dans l'histoire de ses personnages et précipite la catastrophe … Un roman fin et malicieux sur la difficile recherche du bonheur, sur les frontières floues de la raison et de la folie, sur les pièges de la passion.

Extrait de p. 46 (Moira)
Traduction: Alfred Prédhumeau

«Oui, mon cher Victor, c’est au plus tard ce jour-là que tu aurais dû lui opposer un non clair et net.
Non, chère Mme Gerlach, je sais que l’invitation part d’une bonne intention, mais le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions, ne soyez pas fâchée, je veux boire une Kölch en tête à tête avec ma Klara, aller tôt au lit et l’aimer dans la position du missionnaire jusqu’à expiration de nos forces. Mme Gerlach, ma bouche aspire avidement au contact de ses petits seins, mes hanches veulent sentir la pression de ses mains, mon regard plonger dans les profondeurs de ses yeux bleus pour y noyer les horreurs vues pendant toute la semaine. Je comprends votre peur de l’avenir, votre angoisse face à la maladie d’Alzheimer, si votre Gert devait avoir la maladie D’A et pas vous. Oui, vous me faites de la peine, mais nous sommes jeunes, en bonne santé et toujours heureux. Samedi soir, nous voulons de respirer librement, et en égoïstes, aller dîner quelque part ensemble, sûrement  pas un rôti de bœuf mariné au vinaigre. Mme Gerlach, vous me faites peur, vous voulez nous accaparer, vous voulez nous emprisonner dans la sinistre forêt de votre solitude. Laissez-nous  en paix, ne m’obligez pas, en dépit de ma bonne éducation, à inventer de stupides mensonges pour pouvoir décliner votre invitation. Car moi, Victor Weber….mais savais-tu dire moi, chez toi un mot aussi court et léger qu’un des  poils que je m’épile, essaie de le dire, rien qu’une syllabe, dis : moi, moi, moi, (j’entends ta prononciation marquée, moa moa moa,) tu y arrives ou est-ce que ton moi s’est englouti par les doigts sous la peau de tes patients ? Ou est-ce que ta maman l’a coupé au sécateur en petits morceaux, est-ce ton grand ’père l’a banni à coups de fouet ou est-ce que ton père l’a tourné et retourné à son goût tant et si bien que tu n’arrives plus qu’à émettre un Oah d’impuissance…
Balivernes ! N’importe quoi ! Dire moi révulse ton moi, qui immédiatement se roule en boule tel un hérisson permettant à tout un chacun de le retourner à  l’aide d’un bâton, car ton moi est un moi au service des autres, mon cher Victor, un minuscule moi de minus incapable de dire non. C’est pour cela que seul un moi faussé aurait pu dire moi, une impossibilité, car ton destin n’est pas celui d’un menteur. On ne peut s’approprier un autre moi que le sien, quelle mouise mon amour.
Les Gerlach t’ont dans leur nasse, rien ne sert de se démener.»

Der Gesang der Haut

   

Parksünder (Les mal garés/les décalés)
roman, Vienne, Picus 2009

Rémi est un haut fonctionnaire du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Sa carrière semble assurée quand tout bascule d'un coup: Une grippe le force à reste au lit malgré les manifestations des étudiants parisiens qui menacent d'empirer. Il apprend la mort de sa mère, Cornélie, une ancienne institutrice dans un village des Hautes Alpes, venue s'installer là avec son mari après 68. Ses relations avec elle ont toujours été difficiles et sporadiques. A-t-il jamais lu ses lettres enfouies dans une valise? Malade, fiévreux, il se met en route pour le village où il a grandi avec ses deux sœurs, sa mère et son père, un montagnard mort sous une avalanche. Et parce qu'un malheur n'arrive jamais seul il apprend avant son départ l'accident survenu à sa meilleure amie, hospitalisée et dans le coma. En cours de route, il boit plus que de raison, se souvient plus qu'il ne le voudrait. Arrivé chez sa sœur Mireille il retrouve aussi sa sœur Marlène, qui elle aussi, a fui très tôt la maison natale et vit à Berlin. Au cours de sa lecture le lecteur apprendra deux versions différentes des faits, celle des pensées amères de Rémi et celle que rapportent les lettres de Cornélie, l'institutrice qui aimait son métier, les livres, les fleurs et deux hommes. Ce roman nous parlent des mal-garés, ceux qui, à l'image de Cornélie qui ne sait pas faire un créneau,  ont cherché et n'ont pas vraiment trouvé leur place dans la vie.

Parksünder

   

Die Tochter des Buchhändlers  (La fille du libraire)
roman, Vienne, Picus 2008

Vous pouvez télécharger le premier chapitre, traduit par Florence Tenenbaum, et une présentation sur un PDF (18 pages).

Die Tochter des Buchhändlers

   

Heute ist auch noch ein Tag
roman, Stuttgart, Klett-Cotta 2004

 

Heute ist auch noch ein Tag

   

Hin und Her (L'Aller Retour)
roman, Cologne, Bruckner & Thünker 1995

L'Aller-Retour est un manuscrit français qui a précédé le roman Hin und Her, le premier de mes romans allemands édités et le seul dont une première version ait d'abord été rédigé dans ma langue maternelle. En voici le début:

"Je m'appelle Juliette Lavendie. Si je me présente si vite c'est peut-être par réflexe professionnel. J'enseigne ma langue maternelle dans un Institut Français en Allemagne et c'est ainsi que je commence mes cours aux débutants. J'utilise la formule consacrée de tous les manuels au premier chapitre des prises de contact.
Mais aujourd'hui j'écris mon nom avec un peu de fièvre. Un peu de honte et d'espérance à faire le premier pas vers un inconnu qui risque de cracher dans ma sébile: On s'en fout, Madame, de vos je-je-je- et moi-moi-moi.
Je tape mon nom sur le clavier comme du temps de ma jeunesse montagnarde je faisais la trace dans la neige pour arriver à un sommet d'où on aurait la vue. Peut-être que j'arriverai à y voir plus clair si j'arrive au bout de cette histoire. Mais aujourd'hui il n'y a plus de sommet, une sortie peut-être, bien plus tard et tout est incertain, et je tourne en rond du matin au soir. Et je ne sais pas si cette histoire est destinée à mon juge ou à mon fils Grain de Beauté ou à mon mari, Monsieur Necker ou à mon amant, Manu, ou seulement à passer le temps, à m'empêcher de devenir dingue, à me donner un sens, une autre direction que le va et vient à l'intérieur de quatre mètres carrés, à me donner de l'importance, et peut-être que j'invente tout, rien de tout ça n'est autobiographique, la vie n'est pas biographique, elle est biologique, se tricote en lipides, protides et cætera, arrête de faire ton intéressante disait ma mère, mais moi je n'ai rien d'autre que ce clavier pour m'expliquer et après tout je ne force personne à me lire.
Je m'appelle Juliette Lavendie, je pédale sur mon vélo bleu à trois vitesses qui m'emmène donner mon premier cours de l'année scolaire à l'institut. Une quinzaine de kilomètres sous la pluie vivante des feuilles d'octobre. Je suis d'humeur lyrique. Les palissades piquent le fond de l'air, les sapins brossent les nuages, j'aime cet itinéraire face au soleil couchant qui tombe peu à peu dans la gueule des chiens. Ils crachent des petites fumées sur mon passage, aboient leur nom à eux. Tout se passe à quelques centimètres au dessus du sol, ma chaîne mal graissée caquète que franchement cette vie n'est pas possible, il y a un décalage de moi, une stylisation de vélo, seule le décor est vérifiable: Après la campagne, la banlieue, quelques fumées, une usine de caoutchouc, et le centre ville, j'attache mon vélo dans la cour de l'Institut.
A dix-huit heures trente je promène un regard chaleureux sur ma douzaine de clients: je m'appelle Juliette Lavendie et vous? J'articule gaiement tout en pointant mon doigt vers le thorax d'un barbu timide. Il se tait et rougit. Et Je claironne en me battant la coulpe: Je m'appelle Juliette Lavendie, ET VOUS? Jeu m'abbelle Juliette Lafentie, prononce ma victime en serrant les lèvres et les cuisses. J'étreins furieusement ma poitrine pour défendre mon bien. Ah non, non, non, Juliette c'est moi!! Et prenant les autres à témoins je récidive: Je m'appelle Juliette, je … Exsangue mon nom me pend au bout des lèvres, prise de nausée je trépigne en roulant des yeux paniqués: Je m'appelle, je m'appelle … KLAUS! hurle le barbu, je m'appelle Klaus! Tout le monde rigole, on se décontracte de partout. Chacun se nomme et je sens leur trouble plaisir d'une incursion au-delà d'une frontière. Ils se savourent. Je m'appelle Markus Förster, Angelika Schwarz. Insolites et gutturaux, les prénoms culbutent au bout de la petite phrase. Angelika et Markus se relèvent, neufs, au centre des regards, ils se contemplent avec un petit rire satisfait. Mais moi, je ne les laisse pas longtemps à leur béatitude de nouveau-nés. Je les plonge dans le supplice du: Je suis Juliette Lavendie, vous êtes bien Monsieur Weber? Plus tard nous épèlerons leurs noms sur l'air de gentille alouette. Juli-ette- jolie Juli-ette, Juli-ette, je t'épèlerai. Et le J et le U, et le U et le L et cætera. On est niais et joyeusement cacophoniques. Je chante faux et amoureusement. Je les disloque en voyelles et consonnes et ils s'amusent comme des gosses. Je les ouvre, comme des cahiers neufs, Je leur donne le meilleur de moi-même à ces gens dont la mort subite me laisserait de glace. Je suis un bon prof, une bonne comédienne.
A vingt heures cinq je décadenasse mon vélo bleu à trois vitesses pour pédaler rue du Palais de Justice (ironie du sort) où demeure Manu. Je passe chez lui toutes mes nuits sauf le week-end et les vacances scolaires à cause de Grain de Beauté. Je rentre chez Monsieur Necker à l'aube. C'est un arrangement entre lui et moi et qui ne regarde personne, après tout chacun peut vivre comme il ne l'entend pas."

Hin und Her

         
up!